FR3 et DNA contre Syndicats de Journalistes

 

  Cour d'appel de Colmar
ARRET du 15 septembre 1998

 

Affaire FR3 et DNA contre Syndicats de Journalistes

 

Par arr?t du 28 avril 1998 auquel il est expressément renvoyé, pour l'exposé du litige, de la procédure et les moyens et prétentions des parties, la Cour d'Appel de ce si?ge a ordonné la réouverture des débats, invité les parties ? fournir les accords intervenus dont il avait été fait état en cours de délibéré, et ? préciser dans quelles conditions les émissions de FRANCE 2 étaient diffusées sur Internet et si des conventions avaient été signées avec les journalistes relatives aux droits d'auteur.

Par conclusions du 17 juin 1998 la société SDV PLURIMEDIA souligne qu'un accord collectif d'entreprise a été signé le 9 avril 1998 entre les D.N.A. d'une part et les syndicats SILAC, CFDT, SNJ et Force Ouvri?re et le contreseing de Mesdames C-W et K et celui de Messieurs K et F, et qu'un constat de transaction a été signé le 5 mai 1998 par SDV PLURIMEDIA, le SNJ, L'USJF-CFDT, Mesdames C-W et K et Messieurs K et F, que ces derni?res parties ont renoncé ? poursuivre le retrait des sites Internet du journal les DNA et des émissions de FRANCE 3, mais que ce n'est pas le cas de Messieurs C et T dont les prétentions ne sont pas fondées.

Elle demande ? la Cour de lui adjuger ses précédentes écritures, d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, et de dire n'y avoir lieu ? référé.

Par conclusions du 10 juin 1998 la société nationale de télévision France 3 fait valoir que depuis le 31 janvier 1996 France 2 diffuse sur Internet divers programmes sans qu'aucune convention spécifique n'ait été signée avec les journalistes et demande ? la Cour que lui soit adjugée l'entier bénéfice de ses précédentes écritures.

Par conclusions du 22 juin 1998 le S.N.J. , Messieurs C et T font valoir :

- qu'il n'existe plus de litige entre les intimés et PLURIMEDIA et que les journalistes des D.N.A. personnes physiques et les syndicats se sont désistés, pour la durée de l'accord conclu, de l'instance et de l'action ? la suite d'un protocole de transaction.

- que le litige subsiste dans son intégralité ? l'égard de FRANCE 3 télévision.

- que la qualité d'auteur des journalistes d'articles de journaux est indéniable et la qualification d'oeuvre collective consacrée par la Cour de Cassation n'emp?che nullement que les droits soient cédés par les journalistes ? leur employeur dans la mesure o? le journal n'est titulaire ab initio des droits que pour la premi?re publication et que toute autre publication nécessite une cession de droits.

- que pour les oeuvres audiovisuelles, les créations ne sont protégées par le droit d'auteur que si elles refl?tent l'empreinte et la personnalité du créateur mais que s'agissant de reportages d'information, le choix des cadrages, la confection d'un texte montrent sans discussion possible qu'il s'agit d'oeuvres couvertes par le droit d'auteur.

- que la convention collective reconnaît aux journalistes la qualité d'auteur tout comme l'avenant audiovisuel, qui prévoit d'ailleurs la cession des droits d'auteur des journalistes ? leur employeur.

- que la présomption de cession au profit du producteur n'existe que pour autant que les auteurs aient été rémunérés ce qui n'est pas le cas en l'esp?ce.

Par mémoire de désistement non daté remis ? la Cour le jour de l'audience, Madame C-W, Madame K, Monsieur F et Monsieur K se désistent en totalité de l'instance et de l'action pour une durée d'un an ? compter de l'accord, le S.N.J. se désiste de l'instance et de l'action en ce qui concerne la demande relative ? la publication du journal D.N.A. pour la m?me durée.

Vu le dossier de la procédure, les pi?ces réguli?rement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la Cour se réf?re pour plus ample exposé de leur moyen ;
 

1) SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL :

Attendu que l'appel interjeté dans les formes et délai légaux est recevable en la forme ;

2) SUR LA RECEVABILITE DE L'INTERVENTION VOLONTAIRE DE FRANCE 3 :

Attendu qu'en l'application de l'article 554 du nouveau Code de procédure civile peuvent intervenir en cause d'appel d?s lors qu'elles y ont intér?t les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en premi?re instance ou qui y ont figuré en une autre qualité ;

Attendu que FRANCE 3 qui a signé un contrat avec SDV PLURIMEDIA et qui se voit contester son droit d'exploiter les émissions "Rund Um" et "Journal Tout Images", qui subit indirectement une condamnation ? engager des négociations avec les syndicats, a un intér?t certain ? intervenir ? l'instance d'appel pour élever une prétention ? son profit d?s lors qu'elle se prétend titulaire des droits d'auteur et habilitée ? céder ses droits ;

Attendu que l'intervention doit ?tre déclarée recevable en la forme ;

3) SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE :

Attendu que la recevabilité de l'action des syndicats de journalistes fondée sur les dispositions de l'article L 411-11 du Code du travail n'est pas remise en cause en instance d'appel ;

Attendu que seule la recevabilité des demandes formées par les syndicats et par deux journalistes de FR3 ? l'encontre de FRANCE 3, est discutée aux motifs d'une part qu'une oeuvre audiovisuelle serait une oeuvre de collaboration et que tous les coauteurs de l'oeuvre devraient ?tre mis en cause et d'autre part que les journalistes demandeurs ne justifieraient pas de leur qualité d'auteur ;

Attendu que les demandeurs ne réclament pas la perception de droits d'auteurs, mais ont sollicité du juge des référés une mesure provisoire pour faire cesser un trouble manifestement illicite ou prévenir un dommage imminent ;

Que les syndicats de journaliste et les journalistes demandeurs, dont il n'est pas contesté qu'ils sont bien employés par FRANCE 3, ont qualité et intér?t pour faire constater l'existence d'un trouble illicite ou d'un dommage imminent susceptible de porter atteinte aux intér?ts de la profession toute enti?re ou certains journalistes, sans que cette action exige que soient mis en cause tous les journalistes des émissions concernées ;

Attendu qu'en tant que journalistes ? FR3, Messieurs C et T, ont également qualité pour agir d?s lors qu'ils consid?rent que leur contrat de travail et la convention collective de l'audiovisuel n'entraînent pas cession des droits d'exploitation ? FRANCE 3 et que le protocole d'accord expérimental passé avec SVD PLURIMEDIA était susceptible d'?tre étendu ? d'autres émissions ;

1) sur la reproduction sur Internet du journal les D.N.A. :

Attendu qu'il convient de rappeler que l'union syndicale des journalistes CFDT, le SNJ, Mme C-W, Mme K, M. F, et M. K journalistes aux D.N.A. avaient assigné la société PLURIMEDIA devant le juge des référés commerciaux du Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG en vue d'obtenir sous astreinte l'interdiction de diffusion par PLURIMEDIA du journal les D.N.A. sur Internet tant qu'un accord n'aura pas été trouvé entre les syndicats et la société éditrice du journal les D.N.A. ;

Attendu qu'un accord a été signé le 9 avril 1998 pour un an entre d'une part les éditions les D.N.A. et le syndicat CFDT, le SNJ et FO sur la cession des droits d'auteur des journalistes pour la diffusion par voie électronique ou informatique du journal.

que cet accord précise que les parties entendaient mettre fin au différend qui les oppose et renoncer, aux suites des procédures engagées avant ce jour.

qu'elles indiquent ? l'article 9 que :

- quelle que soit la teneur de l'arr?t de la Cour d'Appel de COLMAR dans la procédure de référé actuellement pendante devant elle sur appel de SDV PLURIMEDIA et FRANCE 3, qui doit intervenir le 28 avril 1998 les signataires s'engagent expressément ? ne lui donner aucune suite et ne pas poursuivre l'exécution.

- la procédure au fond engagée devant le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG par assignation en date du 17 février 1998 sera retirée par désistement d'instance et d'action des demandeurs.

- les syndicats signataires déclarent expressément souscrire les dispositions du présent article 9 tant en leur nom propre qu'au nom et pour le compte de Mesdames C-W, K, et Messieurs F et K autres parties dans les procédures susvisées dont ils se portent fort.

- de m?me la société D.N.A. déclare expressément souscrire les dispositions du présent article 9 tant en son nom propre qu'au nom et pour le compte de la société SDV PLURIMEDIA dont elle se porte fort.

Attendu que par ailleurs un constat de transaction a été signé le 5 mai 1998 entre les syndicats demandeurs et les journalistes des D.N.A. d'une part et SDV PLURIMEDIA d'autre part précisant "en raison de l'accord intervenu entre les D.N.A. et les journalistes des D.N.A. et les syndicats SNJ et USJ CFDT il est mis fin au litige ayant opposé les syndicats et journalistes sus nommés ? la société SDV PLURIMEDIA et concernant la diffusion des D.N.A. en ligne.

Les parties ont pris connaissance des termes de l'accord et les appliqueront pour tout ce qui les concerne."

Attendu qu'enfin les parties demanderesses et intimés ont déclaré se désister de l'action et de l'instance pour une durée d'un an ? compter de l'accord ;

Attendu que la demande est devenue sans objet puisqu'un accord est intervenu entre les demandeurs et les D.N.A. et que la demande était précisément subordonnée ? la conclusion d'un tel accord ;

Attendu qu'en outre en application de l'article 384 du N.C.P.C. l'instance s'éteint accessoirement ? l'action par l'effet de la transaction, que l'extinction de l'instance est constatée par une décision de dessaisissement et qu'il appartient aux juges de donner force exécutoire ? l'acte constatant l'accord des parties que celui-ci intervienne devant lui ou ait été conclu hors de sa présence ;

Attendu que le constat de transaction signé par les parties le 5 mai 1998 se référant ? l'accord du 9 avril 1998, constitue un accord conclu hors de la présence du juge ;

qu'il y a lieu en conséquence de constater l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la Cour ,

Attendu qu'il convient de compenser les dépens d'appel entre les parties ;

2) Sur la reproduction sur Internet, par FRANCE 3 des émissions RUND UM et le journal "TOUT IMAGES" :

Attendu qu'il appartient ? la Cour dans le cadre de cette procédure de référé de rechercher si la reproduction sur Internet du magazine de reportage en dialecte alsacien "RUND UM" et du résumé du journal "TOUT IMAGES" par SVD PLURIMEDIA constitue pour les demandeurs un trouble manifestement illicite ou risque d'entraîner pour eux un dommage imminent ;

Attendu que la Cour n'est en possession d'aucun élément de fait lui permettant d'apprécier si les émissions reproduites constituent des oeuvres collectives ou des oeuvres de collaboration et que la qualification susceptible d'?tre donnée ? ces émissions ne peut relever que de la compétence du juge du fond ;

Attendu qu'apparemment les émissions en cause sont bien produites par FR3 de sorte qu'en application de l'article L132-24 du Code de la propriété intellectuelle, le contrat qui lie le producteur aux auteurs emporte sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus ? l'auteur, cession au profit exclusif de producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle ;

Attendu qu'en l'esp?ce ? défaut des stipulations contenues dans les contrats de travail liant FRANCE 3 aux journalistes, seules les dispositions de l'article 7-4-2 de l'avenant audiovisuel ? la convention collective des journalistes se prononcent sur la cession de leurs droits.

que cet article dispose que les journalistes permanents ou relevant de l'article 17-2 c?dent en totalité ou en exclusivité les droits nécessaires ? l'utilisation de leurs prestations ; que sont notamment acquis par l'entreprise qui les emploie, le droit de diffusion, de reproduction et d'exploitation des émissions produites avec la participation des journalistes ; que l'employeur a le droit de céder ? des tiers le droit d'exploitation ; que dans le cas o? cette exploitation est faite ? titre onéreux, notamment pour une exploitation sous forme de cassettes ou de vidéo cassettes, directement par l'employeur ou par l'intermédiaire d'une autre société, les journalistes perçoivent une rémunération supplémentaire s'imputant sur le prix de 37,5 % du prix de vente net reportés entre les ayant-droits ; que les modalités de répartition entre les ayant-droits feront l'objet d'accords particuliers ;

Attendu qu'il ne peut sérieusement ?tre discuté qu'? la date de cet avenant le 9 juillet 1983, la cession des droits ne pouvait porter sur la reproduction d'émission sur Internet qui n'existait pas ;

qu'il n'existe donc ainsi que l'exige l'article L 131-6 du Code de la propriété intellectuelle aucune convention expresse stipulant une participation corrélative au profit d'exploitation pour la cession du droit d'exploiter l'oeuvre sous une forme non prévue ou non prévue ? la date de cet avenant ;

Attendu qu'il ne peut ?tre sérieusement soutenu que la reproduction des émissions télévisées sur Internet serait incluse dans la cession des droits accordés ? FRANCE 3, alors que s'il s'agit effectivement du m?me contenu, il est reproduit sur un support électronique ne présentant pas les m?mes caractéristiques et ne s'adressant pas ? un public de téléspectateurs selon un programme préétabli mais ? tout possesseur d'un ordinateur qui peut consulter l'émission ? tout moment et en n'importe quel point du globe et m?me théoriquement avant la publication de l'émission.

Attendu que d'ailleurs la convention collective des journalistes avait pris soin ? l'époque de réglementer la cession des oeuvres audiovisuelles sous forme de cassettes ou de vidéo cassettes qui n'étaient pas des moyens habituels de diffusion des émissions télévisées mais qu'elle n'avait pu prévoir ? cette époque la diffusion ou la reproduction sur Internet ;

Attendu toutefois, que l'action n'est pas dirigée contre FRANCE 3 mais contre la société SDV PLURIMEDIA ;

Attendu que si FRANCE 3, ne pouvait déclarer ? SDV PLURIMEDIA, comme elle l'a fait dans le protocole d'accord signé avec elle, qu'elle était bien titulaire des droits de propriété intellectuelle sur les émissions, il n'apparaît pas cependant que SVD PLURIMEDIA se soit rendu coupable d'un trouble manifestement illicite, alors en premier lieu que l'accord conclu ? titre expérimental pour une durée de 6 mois l'avait été ? titre gratuit, en second lieu que FRANCE 3 avait affirmé ?tre titulaire des droits d'auteurs et avoir obtenu toutes les autorisations légales et réglementaires ? leur exploitation, reproduction, commercialisation conformément aux textes en vigueur, en troisi?me lieu que FRANCE 3 comme FRANCE 2 avaient un site en exploitation sur Internet ce qui pouvait conforter SDV PLURIMEDIA dans sa croyance ? l'exactitude de ces informations, en quatri?me lieu que l'appréciation de la faute que SDV PLURIMEDIA aurait pu commettre en acceptant d'apporter son concours ? FRANCE 3 n'apparaît pas évidente au regard de ces éléments et de toutes les interrogations juridiques que suscite l'émergence du réseau Internet et son utilisation et rel?ve en tout cas de la compétence du juge du fond qui semble avoir été saisi du litige.

Attendu qu'enfin il n'existe en l'état aucun dommage imminent alors que les conditions de la reproduction par SDV PLURIMEDIA sont parfaitement connues, que les consultations du site peuvent ?tre connues, et que les demandeurs, sont en mesure d'obtenir réparation devant le juge de fond s'ils justifient d'un préjudice et de leur qualité d'auteurs ;

Attendu qu'en l'absence de trouble manifestement illicite, de dommage imminent, il n'y a pas lieu de prononcer une interdiction de reproduction ? l'encontre de SDV PLURIMEDIA, étant au surplus observé que FRANCE 3 a mis fin ? l'expérience, et que le contrat est expiré depuis le mois de mai.

Attendu que l'ordonnance déférée ? la Cour doit donc ?tre infirmée de ce chef.

Attendu qu'il convient de faire masse des dépens de premi?re instance et d'appel et de les faire supporter par moitié par chacune des parties ? l'exception des dépens de l'intervention de FRANCE 3 en instance d'appel qui resteront ? sa charge.
 

PAR CES MOTIFS
 

La COUR,

statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, apr?s en avoir délibéré conformément ? la loi ;

DECLARE l'appel recevable en la forme ;

DECLARE recevable l'intervention volontaire de FRANCE 3 ;

CONSTATE qu'un accord est intervenu entre l'Union Syndicale des Journalistes Français CFDT, le Syndicat Patronal des journalistes, Mesdames C-W, K, Messieurs F et K s'agissant de la demande qu'ils ont dirigée entre SDV PLURIMEDIA ;

CONSTATE l'extinction de l'instance sur cette demande et le dessaisissement de la Cour ;

INFIRME l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a statué sur la demande des syndicats CFDT et SNJ et de Messieurs C et T ? l'encontre de SDV PLURIMEDIA en ce qui concerne la reproduction sur Internet des émissions de FRANCE 3 ;

Statuant ? nouveau de ce chef ;

DIT n'y avoir lieu ? référé ;

FAIT masse des dépens de premi?re instance et d'appel ? l'exception de ceux de FRANCE 3 qui demeurent ? sa charge, et dit qu'ils seront supportés par chacune des parties ;

REJETTE la demande d'indemnité de procédure ;

et le présent arr?t a été signé par le Président et le Greffier présent au prononcé.
 

Fait ? Colmar, le 15 septembre 1998
 
 

La Cour : M. GUEUDET, (Président de Chambre) ; Mme BERTRAND, (Conseiller) ;
Mme MAILLARD, (Conseiller) ; Mme SCHIRMANN (Greffier).